Vous avez dit vespa velutina nigrithorax ?
#Urbanaturel2
Personne ne conteste plus désormais le rôle clé des abeilles dans le maintien de la bio diversité, encore faut il agir pour les protéger concrètement, volonté qui nous a mené à proposer aux associations d’apiculture de participer à la démarche d’ Urbanaturel.
Dans ce cadre, une conférence débat a été organisée destinée à favoriser le dialogue entre citoyens, élus, professionnels ou apiculteurs, ces derniers disposant d’un temps spécifique leur permettant d’échanger sur leurs pratiques ou le partage de ressources.
Le thème de la réunion animée par Lionel Clercq et Gérard Bernheim du Groupement de Défense Sanitaire Apicole de Seine & Marne s’est imposé de lui même, tant il revêt désormais un caractère quasi obsessionnel pour nombre d’apiculteurs et interpelle de plus en plus de citoyens.
Il s’agit bien évidemment du «frelon asiatique ou encore « vespa velutina nigrithorax ».
La curiosité que suscite cet hyménoptère n’est pas une vue de l’esprit, j’en veux simplement pour preuve le nombre de participants à la conférence, la salle Saint Exupéry était archi comble !
Une mobilisation qui illustre assez bien la période de turbulences, de doute et de remise en cause que nous traversons du fait de la mondialisation, de la révolution numérique ou encore du réchauffement climatique …
Nous devons plus que jamais être en capacité de nous adapter à un monde en mouvement qui lui n’attend pas … Contexte pour le moins anxiogène.
Quelle attitude avoir face au frelon asiatique : laisser faire, résister ou s’adapter en « faisant résilience » ? Avant de tenter de répondre à une question qui dépasse le seul cadre du frelon asiatique, retour sur le contexte particulier du vespa velutina nigrithorax.
Le frelon asiatique a été introduit en France en 2004, via un conteneur de poteries importées de Chine par un horticulteur du Lot-et-Garonne (source : Inventaire national du patrimoine naturel). Ses premiers nids apparaissent dans le Lot-et-Garonne en 2005 et se multiplient dès lors, à raison d’une centaine de kilomètres par an (carte de l’INPN)
Il atteint la Seine et Marne dès 2014. L’année suivante 10 nids sont détruits, en 2016 : 70, nous en sommes en 2018 à plus de 800 ! Les apiculteurs ne peuvent que constater les dégâts et voir leurs colonies d’abeilles décimées par ce nouveau prédateur, bien plus agressif et redoutable que son cousin européen, acclimaté epuis des millénaires, car implanté bien avant l’arrivée de l’homme …
Les colonies de frelons asiatiques se développent d’autant plus rapidement que le climat hexagonal lui va à merveille d’autant que le réchauffement climatique prolonge sa période de prédation qui peut s’étendre désormais jusqu’à fin novembre.
Plus petit, agressif, mobile, agile, le frelon asiatique déploie un mode opératoire bien connu. Capable de réaliser un vol stationnaire de longue durée, il se place ainsi devant la ruche, attaque la moindre abeille qui s’écarte de la colonie, lui arrache pattes et ailes, broie son thorax afin d’en faire une boulette en protéines qu’il ramène au nid pour nourrir les larves.
S’il ne s’attaque pas directement à l’homme en temps normal, il devient plus qu’agressif à proximité de son nid, ses piqures peuvent selon les cas avoir des conséquences gravissimes, allant jusqu’à l’hospitalisation.
Léger problème cependant, pour l’instant il n’a pas de prédateur identifié, si l’homme ne s’en mêle pas, aucune régulation ne pourra alors s’effectuer.
Que faire ?
Un cycle immuable de 12 mois
Chaque colonie de frelons est dirigée par une reine et regroupe essentiellement des ouvrières.
Les femelles sexuées et fécondées à l’automne précédent, pré destinées à devenir reines, sont les seules à survivre à l’hiver. Au printemps, après une phase d’hibernation, elles sortent de leur léthargie et s’activent de début mars à fin mai, créant tout d’abord un premier nid (le nid primaire) petit et rond de 10 à 15 cm de diamètre de la taille d’une balle de tennis,, qu’elles implantent à proximité des habitations (toits, préaux, locaux de jardins, stères de bois, haies …). Les premières larves, futures ouvrières, y sont nourries durant deux mois, avant de devenir adultes et de traquer en mode très intensif les abeilles durant tout l’été pour nourrir leurs larves.
Vers juillet, la colonie de frelons crée un nid secondaire, de forme ronde ou ovale, qui peut atteindre 40 à 70 cm environ de diamètre (taille ballon de football), toujours à proximité des habitations ; ces nids sont implantés dans les haies ou des endroits quelquefois insolites mais proches des habitations. C’est à ce moment qu’ils sont les plus dangereux pour les humains, car quasi invisibles …
Les colonies ensuite implantent de nouveaux nids, plus volumineux, généralement en haut des arbres. Les reines n’en sortiront plus de l’été. A partir de mi-septembre et jusqu’aux premières gelées, les futures mères fondatrices fécondées (jusqu’à 400) quittent leurs nids afin de s’isoler et d’hiberner.
En décembre, elles seules survivent et encore 95% de ces frelonnes ne verront pas le printemps, les anciennes reines ainsi que les ouvrières de la colonie ont disparu, les grands nids abandonnés ne seront plus utilisés par les frelons et se désagrègeront durant les mois d’hiver.
« Winter is coming … «
Que disent les textes officiels ?
Le frelon asiatique est classé au niveau national dans la liste des dangers sanitaires de 2eme catégorie pour l’abeille domestique Apis mellifera sur tout le territoire français. Ce classement implique que l’élaboration et le déploiement d’une stratégie nationale de prévention, surveillance et lutte vis-à-vis de ce danger sanitaire est de la seule responsabilité de la filière apicole. L’État peut apporter son appui mais ne s’implique pas financièrement, toutes les opérations menées le seront à la charge des apiculteurs.
Le frelon asiatique figure également dans la liste des « espèces exotiques envahissantes préoccupantes » pour l’Union européenne ( juillet 2016).
La loi du 8 août 2016 complète le code de l’environnement et intègre des dispositions permettant d’agir contre les espèces exotiques envahissantes, mais laisse le soin aux Préfets de prendre les arrêtés précisant les conditions de ces opérations, pouvant aller jusqu’à ordonner des actions de destruction sur des propriétés privées, mais aucun précision n’est apporté sur leur financement.
Pour faire simple, la maxime à retenir pour un apiculteur confronté aux attaques de frelon asiatique « Aide toi, le ciel d’aidera »
Et pour l’homme ?
Il se révèle plus dangereux que son cousin européen du fait de la violence de son réflexe de défense. Lorsqu’une colonie sent menacé son nid, elle reste en tension durant plusieurs heures et toutes les ouvrières du nid se mettent à attaquer ceux qui ont la mauvaise idée de s’approcher. Effet dissuasif garanti d’autant que le dard de ce frelon est de l’ordre de 4mm et qu’il peu piquer jusqu’à 6 mm ! Des piqures qui sont déjà à l’origine de plusieurs morts en France.
Il est impératif, pour des raisons de sécurité évidentes, de signaler dès qu’il est repéré un nid de frelons asiatiques en mairie, afin qu’il soit détruit par un professionnel formé et équipé d’une combinaison spéciale.
Il ne faut surtout pas vouloir les enlever soi-même. Cette intervention nécessite un spécialiste formé et équipé. Si le nid n’est pas en hauteur, la consigne est identique : ne pas s’en approcher. La zone critique est d’une quinzaine de mètres autour du nid.
Comment lutter ?
La solution pour se débarrasser du frelon asiatique serait d’éradiquer toutes les reines, sans exception. Autant dire que la réussite d’une telle entreprise apparait plus qu’aléatoire, impossible.
Deux techniques sont utilisées pour limiter les dégâts auprès des ruches :
- Eradiquer les nids repérés. Première étape, alerter sa Mairie ou les pompiers, qui vont contacter un spécialiste pour qu’il intervienne. Ce dernier est formé, équipé d’une combinaison spéciale et de matériel adapté à sa mission lui permettant d’intervenir sur le nid : lunettes de protection (les frelons peuvent projeter leurs venins), fusil paintball, produits insecticides dont le pyrèthre, substance active du géranium, molécule naturelle assez efficace.
- Piéger les frelons. Une méthode controversée, les pièges utilisés attrapant à priori beaucoup d’insectes, peu de frelons et encore moins asiatiques. Il existe « une mortalité cachée » de tels pièges, celle des insectes tués qui ne sont pas des frelons ! Plusieurs laboratoires travaillent sur la mise au point d’appâts à base de phéromones, qui permettraient de n’attirer que les frelons asiatiques.
Les chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle ont réalisé la première publication scientifique sur l’évolution des colonies de Vespa velutina. Elle indique qu’un nid produit jusqu’à 13 000 individus entre avril et décembre, avec un maximum de 2 000 individus présents au mois d’octobre, et au moins 550 femelles sexuées, chargées d’assurer la descendance de l’année suivante.
Selon cette étude et paradoxalement le piégeage de printemps favoriserait la survie des reines, en les privant de batailler à mort contre leurs congénères prises dans les pièges et ne pourraient alors lutter contre elles. Il apparait que le prédateur le plus redoutable du frelon asiatique est lui même, c’est un mode de régulation naturel : plus il y a de reines présentes, plus leur mortalité est élevée, car elle s’entretuent entre elles !
En Chine, les abeilles ont trouver un moyen de neutraliser les frelons entrant dans une ruche : elles battent ensemble des ailes pour réchauffer l’habitat et tuer le frelon par hyperthermie. Certains apiculteurs que j’ai rencontré pensent que c’est une piste d’avenir et essaient « d’éduquer » leurs essaims.
Alors laisser faire, combattre à tout prix, ou s’adapter en faisant preuve de résilience, toutes les combinaisons sont possibles … Tout sans doute, est question de positionnement de curseur, de montée en puissance progressive, de temps d’adaptation plus ou moins long …
Des prédateurs devraient suivre et dame nature faire son boulot, mais cela demande cependant du temps, et au regard de l’état de santé des colonies d’abeilles domestiques du fait des agressions de certains produits phytos, du réchauffement planétaire, il est certainement important d’agir afin de passer cette mauvaise période.
Si l’on veut être plus optimiste, rappelons l’affaire de l’algue verte Caulerpa taxifolia, originaire des mers tropicales introduite en Méditerranée au début des années 1980 à partir d’un aquarium du Musée Maritime de Monaco et qui avait des dégâts considérables dans les champs de posidonie.